Le cycle éveil sommeil - rêve horloges biologiques - aspect moléculaire

8 April 2012

Ces molécules qui s’accumulent et nous endorment

À l’horloge biologique qui règle la sécrétion cyclique d’hormones établissant le moment le plus propice pour aller au lit s’ajoute l’effet de molécules hypnogènes qui s’accumulent durant l’éveil et favorisent la venue du sommeil.

Plusieurs caractéristiques de l’adénosine en font un candidat idéal comme facteur hypnogène : sa concentration dans le cerveau est plus élevée durant l’éveil que durant le sommeil; elle croît lors durant un éveil prolongé; et l’administration d’adénosine ou de ses agonistes induit la somnolence.

L’adénosine est un produit de la dégradation de l’ATP (adénosine triphosphate), la molécule qui sert de « monnaie énergétique » à nos différentes fonctions cellulaires. La production d’adénosine reflète donc le niveau d’activité des neurones et des cellules gliales. La forte activité cérébrale durant l’éveil entraîne une forte consommation d’ATP et par conséquent l’accumulation d’adénosine.

L’accumulation d’adénosine durant l’éveil est donc liée à la déplétion des réserves d’ATP sous forme de glycogène dans les astrocytes du cerveau. L’augmentation d’adénosine, en déclenchant le sommeil lent durant lequel le cerveau est moins actif, amènerait donc celui-ci dans une phase de récupération dont il aurait absolument besoin, entre autre pour reconstituer ses taux de glycogène.

Comme l’adénosine est constamment métabolisée par l’enzyme adénosine désaminase, une baisse de sa production durant le sommeil va entraîner rapidement une baisse générale de sa concentration dans le cerveau. Et des conditions plus favorables à l’éveil.

L’injection d’agonistes de l’adénosine qui ne sont pas dégradés par l’adénosine désaminase ont d’ailleurs donné lieu à des résultats intéressants du point de vue du type de sommeil qu’ils ont favorisé. En effet, ces substances augmentent le sommeil lent mais diminuent le sommeil paradoxal pendant lequel le cerveau est très actif. Mais comme le sommeil paradoxal ne représente que 15% du temps de sommeil chez le rat où ces expériences ont été faites, le temps de sommeil total était aussi significativement plus élevé.

Des résultats similaires ont également été obtenus avec l’administration d’un inhibiteur de l’adénosine désaminase, ce qui a pour effet d’augmenter la concentration d’adénosine dans le cerveau suite à sa dégradation moins efficace

L’une des premières explications à avoir été avancée en ce qui concerne les mécanismes de l’effet hypnogène de l’adénosine est la suivante : la fixation des molécules d’adénosine sur leurs récepteurs inhiberait l’enzyme adénylate cyclase, ce qui provoquerait la suppression d’un influx de calcium dans les terminaisons pré-synaptiques. Et comme cet influx calcique contribue à la relâche des neurotransmetteurs, la sécrétion de ceux-ci serait moindre dans plusieurs neurones associés à l’éveil, comme ceux du télencéphal basal par exemple. D’où l’effet hypnogène de l’adénosine.

Mais qu’en est-il des régions du cerveau qui sont reconnues pour contenir des neurones dont la stimulation favorise le sommeil, comme la région préoptique de l’hypothalamus antérieur par exemple ? On s’est rapidement rendu compte que la micro-injection de faibles quantités d’adénosine dans ces régions favorisait également le sommeil. Résultat paradoxal si l’on s’en tient au seul mécanisme précédemment cité qui diminue l’activité neuronal : diminuer l’activité de neurones favorisant le sommeil devrait au contraire favoriser l’éveil.

C’était sans compter sur l’immense complexité du jeu des sous-types de récepteurs qui ont souvent des effets opposés. Des recherches subséquentes ont en effet démontré que l’adénosine possède au moins deux sous-types de récepteurs aux effets inverses, le A1 qui est inhibiteur, mais aussi le A2A qui est excitateur. Voilà pour-quoi l’adénosine peut avoir à la fois des effets inhibiteurs via les récepteur A1 sur des neurones actifs durant l’éveil comme ceux du télencéphale basal, et des effet stimulants via les récepteurs A2Adans des régions où l’activité neuronale favorise le sommeil.

Ceci dit, des expériences in vitro ont aussi démontré que l’adénosine pouvait agir au niveau présynaptique en inhibant, possiblement par des récepteurs A1, des inputs GABAergiques inhibiteurs. Ce faisant, l’adénosine pourrait par exemple désinhiber des neurones de l’aire pré-optique de l’hypothalamus antérieur qui pourraient ainsi favoriser davantage le sommeil. L’immense complexité de la combinatoire synap-tique, disait-on...

De plus, l’application de tétrodoxine (TTX) sur ces neurones, en bloquant les canaux sodiques, empêche la production de potentiels d’action mais n’affecte aucunement le rythme de l’activité des neurones du noyau suprachiasmatique. D’ailleurs, lorsqu’on enlève la TTX, les potentiels d’action reprennent avec la même phase et la même fréquence qu’avant.

Comme les aiguilles d’une montre, les potentiels d’action générés par les neurones de notre horloge biologique permettent de donner l’ heure, mais pas de garder le compte du temps qui passe. C’est au niveau moléculaire, celui des gènes, que réside le mécanisme ultime de cette horloge biologique.

On pense qu’il pourrait exister une relation entre la régulation du sommeil et la réponse immune à l’infection. En effet, la somnolence est l’une des conséquences les plus connues des maladies infectieuses. On pense que certains peptides hypnogènes pourraient être à l’origine de la fièvre et de la mise en branle de la réponse immunitaire. Les cytokines, stimulées par une infection, peuvent par exemple entraîner une augmentation du sommeil et ainsi contribuer à augmenter les défenses immunitaires.

L’interleukine-1 est un exemple de ces peptides qui à la fois stimulent le système immunitaire et favorisent le sommeil. Ce peptide est synthétisé dans les cellules gliales du cerveau et dans les macrophages qui débarrassent l’organisme des corps étrangers.

Les rouages de l’horloge biologique

Depuis la découverte du premier gène impliqué dans le cycle circadien de la mouche drosophile en 1971, puis celle du gène Clock chez la souris en 1997, on a appris beaucoup de choses sur les rouages moléculaires des horloges biologiques des différentes espèces.

On s’est d’abord aperçu qu’elles s’appuient toutes sur des boucles de rétroaction négatives où des protéines reviennent dans le noyau inhiber leur propre production. Ainsi, chez les mammifères, les gènes Period (Per) et Cryptochrome (Cry) sont activés par les facteurs CLOCK et BMAL1. Une fois traduits en protéines dans le cytoplasme, des dimères PER / CRY et PER / PER reviennent dans le noyau et inhibent la transcription régulée par CLOCK-BMAL1, et donc, leur propre expression.

On sait aussi que plusieurs gènes impliqués dans l’horloge biologique sont bien conservés et se retrouvent chez de nombreuses espèces.

D’autre part, on retrouve parfois plusieurs types d’un gène donné chez une même espèce, comme les trois types du gène Period (Per1, Per2 et Per3) et les deux types du gène Cryptochrome (Cry1 et Cry2) dans les neurones des noyaux suprachiasmatiques humains.

On sait enfin que cette boucle de rétroaction complexe subit l’influence de la lumière extérieure responsable de sa synchronisation avec le cycle jour / nuit. Suite à une stimulation lumineuse qui modifie une molécule photosensible (voir l’encadré page suivante), on observe ainsi une augmentation de la production de PER 1 et PER 2 dans le NSC, ce qui induit des changements dans la progression de la boucle.

Mais connaître les principaux rouages de l’horloge biologique, ce n’est que résoudre la moitié du problème. En effet, cette horloge coordonne plusieurs fonctions comme le sommeil, la température corporelle, la sécrétion de différentes hormones. L’autre moitié du problème, qui constitue de nos jours une part importante de la recherche en chronobiologie, est donc celle de l’output. Autrement dit, comment l’horloge biologique parle-t-elle à tous ces autres systèmes ?

Dans certains cas, ce lien pourrait être une interaction directe entre les composantes de l’horloge et le gène d’une hormone particulière.

Par exemple, CLOCK et BMAL1 se fixent sur la région « E-box » non seulement du gène Per, mais aussi du gène de la vasopressine.

La production de la protéine PER, mais aussi celle de la vasopressine, sera alors interrompu lorsque suffisamment de protéines PER auront pénétré dans le noyau et se seront fixées sur le complexe CLOCK / BMAL1 pour désactiver tant la production d’ARNm de PER que de vasopressine.

Le taux de production d’une hormone peut donc fluctuer selon un cycle de 24 heures grâce à un tel couplage intime avec les composantes de l’horloge biologique.

Une autre composante dédiée au temps dans le cerveau ressemble davantage à un chronomètre qu’à une horloge.

Au lieu de donner une référence temporelle absolue comme une horloge, ce « chronomètre mental » nous permet d’estimer le temps qui s’écoule à partir d’un événement donné. Par exemple, quand un feu de circulation passe au jaune, nous déciderons de continuer ou pas en fonction du temps écoulé depuis le passage au jaune.

Ce chronomètre interne qui nous permet d’avoir conscience du temps qui s’écoule mettrait en jeu le cortex, le thalamus, ainsi qu’une structure dont le rôle serait central dans ce calcul : le striatum des ganglions de la base.

Comment cette boucle de rétroaction complexe peut-elle subir l’influence lumineuse nécessaire à sa synchronisation avec le cycle jour / nuit ? La question a fait couler beaucoup d’encre, en particulier en ce qui concerne le type de photopigment permettant aux mammifères de remettre quotidiennement en phase leur horloge biologique avec la lumière du jour. Le débat qui a cours depuis le début des années 2000 oppose les tenants de la mélanopsine et ceux du cryptochrome comme premier maillon pour assurer cette conversion de l’énergie lumineuse en signal électrique. Et comme souvent quand il y a des batailles de clocher en science, les deux camps disposent de données qui semblent prouver leur dire. C’est d’ailleurs ce qui fait la beauté de ce débat.

Les cryptochromes ont d’abord été mis en évidence dans les cellules végétales. Les protéines CRY1 et CRY2 y déclenchent la croissance des plantes en réponse à la lumière bleu et ultraviolette du spectre lumineux.

On a ensuite démontré que le cryptochrome était aussi un élément clé de la boucle de rétroaction de l’horloge biologique des mammifères. Chez la drosophile, il agit comme un pigment photosensible capable de réinitialiser l’horloge biologique de la mouche. C’est donc cette protéine qui rend possible l’adaptation du cycle circadien lors d’expériences reproduisant les effets du décalage horaire chez la mouche.

Or pour certains chercheurs, le cryptochrome des mammifères a définitivement perdu cette fonction photoréceptrice encore présente chez la mouche et est devenu qu’un simple rouage de l’horloge biologique dont l’activité ne dépend plus de la lumière. Cette conception est appuyée par les expériences montrant que la mouche privée de toutes ses opsines et de son cryptochrome ne synchronise plus son cycle circadien, alors qu’une souris privée de ses cônes, de ses bâtonnets et de ses cryptochromes conserve une réponse résiduelle à la lumière.

Ces mêmes chercheurs optent pour la mélanopsine comme photopigment pour l’entraînement de l’horloge biologique. La mélanopsine est présente dans un faible pourcentage de cellules ganglionnaires de la rétine (environ 1%) qui innervent le noyau suprachiasmatique. Ces cellules ganglionnaires contenant de la mélanopsine innervent également d’autres régions cérébrales intéressées par l’intensité lumineuse comme celles impliquées dans la réponse pupillaire.

Si on élimine le gène des opsines des cônes et des bâtonnets en plus de ceux de la mélanopsine, la souris devient complètement insensible à la photopériode. Toutefois, si on « knock out » seulement le gène de la mélanopsine, on ne produit qu’une modeste réduction de l’entraînement circadien à la lumière.

D’où l’élaboration d’un modèle où les opsines et la mélanopsine joueraient un rôle nécessaire et suffisant mais redondant pour la photoréception circadienne chez les mammifères. Mais tout n’est pas si simple... Car d’autres observations appuient un rôle du cryptochrome pour la photoréception. Par exemple, les souris sans cônes, sans bâtonnets et sans cryptochrome montrent une sensibilité de la réponse pupillaire 20 fois moindre pour la lumière bleue que les souris sans cônes et sans bâtonnets seulement. Ou encore, en privant la souris de toute source de vitamine A, on empêche la formation de la rétinaldéhyde, le cofacteur essentiel à toutes les opsines. Or, bien que ces animaux soient aveugles et montre une réduction de la réponse pupillaire de l’ordre de 10 000 fois, leur transmission aux noyaux suprachiasmatiques du signal lumineux semble peu affectée.

Contrairement aux résultats obtenus avec des souris possédant des gènes de l’opsine rendus inactifs et n’ayant aucune réponse à la lumière, les expériences avec des souris carencées en vitamine A semblent paradoxalement montrer qu’il persiste une forme de phototransduction.

Celle-ci pourrait donc être attribuable aux cryptochromes, avancent certains chercheurs.

Un nouveau modèle où les cryptochromes et la mélanopsine travailleraient en coopération pour générer le signal rétinohypothalamique sera donc peut-être nécessaire pour réconcilier ces résultats apparemment contradictoires. Mais il faudra sans doute attendre d’en savoir plus, en particulier sur la cascade de réactions biochimiques impliquant les cryptochromes.