10 questions sur la grippe aviaire

7 January 2012

Depuis quand le virus de la grippe aviaire H5N1 sévit-il ?

Il a été médiatisé courant 2005. Et pourtant de nombreuses souches de virus H5N1 circulent en Asie depuis près de dix ans. Un virus grippal H5N1 hautement pathogène a ainsi été isolé en 1996 chez des oies, dans le sud de la Chine. Un an plus tard, des cas sévères de grippe aviaire se déclaraient dans les élevages de volaille de HongKong et faisait 18 malades chez l’homme.

L’identification du virus a déclenché l’abattage de 1,5 million de poulets en trois jours et permis de circonscrire l’épizootie, en 1997. Pour autant, des souches du virus H5N1 ont continué à sévir en Asie, en 2000 et 2001. L’épizootie telle qu’on la connaît est apparue simultanément dans huit pays asiatiques, fin 2003. « En terme de nombre de volailles infectées et d’extension géographique, il s’agit de la plus sévère épizootie de peste aviaire jamais observée », note Jeanne Brugère- Picoux, professeur à l’École vétérinaire de Maisons-Alfort. Environ 150 millions de volailles sont mortes de cette maladie ou ont été abattues pour éviter que l’épizootie se propage.

Que signifie H5N1 ?

Ce nom de code fait référence aux molécules que le virus porte à sa surface : l’hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N). Deux éléments majeurs pour la biologie du virus. L’hémagglutinine intervient dans l’infection : elle permet au microbe de se fixer et de fusionner avec la cellule à coloniser. La neuraminidase participe à la diffusion du microbe : elle aide les virus nouvellement fabriqués dans la cellule à se détacher d’elle. Parmi les virus de type A auquel appartient le H5N1, il existe 16 formes d’hémagglutinine (H1 à H16) et 9 formes de neuraminidase (N1 à N9). L’association d’une hémagglutinine et d’une neuraminidase forme le « sous-type » (H5N1, H3N2, etc.). Seize sous-types viraux ont été identifiés chez les oiseaux. Ceux portant des H7 et des H5 sont considérés comme des virus hautement pathogènes.

Les oiseaux migrateurs ont-ils joué un rôle dans la propagation du virus ?

Les experts ne s’accordent pas sur ce point. Certaines espèces migratrices sont touchées par le H5N1. Ainsi, en mai 2005, 1 500 oiseaux migrateurs sont morts sur le lac de Qinghai, en Chine

L’analyse a révélé que des oies à tête barrée, des goélands ichthyaètes et des mouettes du Tibet étaient porteuses du virus H5N1. Immédiatement, ces espèces ont été jugées susceptibles de transporter le virus lors de leur migration vers le sud de l’Asie et l’Europ. Et la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a jugé ce soupçon fondé, lorsque des foyers de grippe aviaire sont apparus en Roumanie et en Croatie : des cygnes sauvages tuberculés présentaient un virus H5 apparenté à celui des oiseaux du lac Qinghai. Toutefois, le passage de la grippe aviaire d’Asie à la Sibérie pose davantage de questions. Plus que les voies de migration, les foyers de grippe « ont suivi le trajet du Transsibérien, appuie Jeanne Brugère-Picoux.

Les oiseaux migrateurs n’ont pas toujours été responsables de la propagation du virus. Le risque lié au commerce des oiseaux de compagnie ne doit pas être sous-estimé si l’on se rappelle les deux aigles, importés de Bangkok récemment et interceptés à la frontière belge. Ils étaient infectés par le H5N1. »

Faut-il vacciner les poulets et les canards ?

La Chine, par exemple, a décidé fin novembre de vacciner prochainement cinq milliards de volailles ! Une bonne idée dans l’absolu : le vaccin contre la grippe aviaire prévient plutôt bien la maladie chez les poulets et les dindes. S’il ne fait pas toujours totalement barrière au virus, il diminue les symptômes et surtout stoppe l’excrétion - donc la diffusion - de virus par l’animal, comme vient de le montrer une étude néerlandaise avec les vaccins les plus couramment utilisés en Europe « Encore faut-il être sûr de la qualité du vaccin », précise Jeanne Brugère-Picoux. De fait, en Chine, des vaccins contrefaits ne sont pas étrangers à la propagation du virus H5N1 dans la province du Liaoning. Jeanet van der Goot, de l’Institut central du contrôle des maladies animales, aux Pays-Bas, évoque quant à elle les précautions à prendre lors de la vaccination des bêtes, afin d’éviter que l’homme ne propage le virus d’élevage en élevage : désinfection des mains et de l’équipement, vêtements jetables, etc. « C’est dans la gestion de la vaccination que se situe le plus gros du travail », explique-t-elle.

Combien d’hommes ont été touchés par la grippe aviaire ?

Difficile à dire. Selon l’OMS, à l’heure où ces lignes sont écrites, 132 personnes ont contracté la grippe aviaire depuis décembre 2003, au Vietnam, en Chine, en Indonésie, en Thaïlande et au Cambodge. Parmi elles, 68 sont décédées. Quasiment tous les malades ont été infectés par le H5N1 après un contact direct avec des volailles. La transmission interhumaine a été confirmée dans un cas. Compte tenu du nombre élevé de foyers infectieux – plus de 3 400 – et du nombre limité de malades, le virus semble avoir du mal à passer la barrière des espèces. Des cas bénins seraient-ils passés inaperçus ? Pour le savoir, une enquête sérologique à grande échelle est nécessaire. Elle consiste à réaliser des prélèvements sanguins sur une population, et à noter la proportion de personnes présentant des anticorps anti-H5N1, preuve qu’elles ont été infectées.

« Le problème, c’est que le test habituel détecte mal le H5N1 et qu’il faut un laboratoire de haute sécurité pour mener ces enquêtes, note Jean-Claude Manuguerra, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence, à l’Institut Pasteur. Seules de petites enquêtes sérologiques – non publiées – ont été réalisées au Vietnam et en Thaïlande. Elles indiquent qu’il y a peu de cas bénins. ».

La pandémie de grippe : psychose ou danger réel ?

« Il y a sans doute eu une erreur dans le volume, la quantité et la pertinence des informations diffusées sur la grippe aviaire et la pandémie humaine, juge Jean-Claude Manuguerra. Reste que le risque de pandémie est bien réel. » S’il y a un point sur lequel les experts s’accordent, c’est sur le retour probable d’une épidémie de grippe humaine à échelle mondiale, sans qu’on puisse en connaître la date. Parce que les pandémies sont récurrentes, certes .

Mais pas seulement. La certitude des experts tient à la nature des virus grippaux : ils acquièrent des propriétés en se réassortissant les uns avec les autres, se maintiennent dans des animaux impossibles à éradiquer, etc. Cette récurrence est aussi liée à nos conditions de vie – élevages intensifs, promiscuité des grandes villes, transports aériens – qui favorisent la circulation des microbes. Reste à savoir si cette pandémie est imminente, comme nous le laisse croire l’agitation frénétique des politiques à ce sujet (15 millions de doses d’antiviraux stockés par la France avant la fin de l’année).

« Le risque est plus tangible qu’il y a trois ans », assure Jean-Claude Manuguerra. Car on a désormais « une indication du pouvoir pandémique » d’un virus : le H5N1 qui sévit chez les volailles.

Le virus aviaire H5N1 peut-il être à l’origine d’une pandémie de grippe humaine ?

Plusieurs arguments le laissent croire. Tout d’abord, ce virus connaît une grande extension géographique : plus de 3 400 foyers de grippe aviaire se sont déclarés dans le monde. Du coup, « il a eu l’opportunité de passer chez l’homme dans plusieurs régions à la fois », explique Jean-Claude Manuguerra. Contrairement aux précédentes grippes aviaires, le H5N1 provoque, chez l’homme, une infection pulmonaire et non une infection superficielle, par exemple un virus H7 ne déclenchait que des conjonctivites.

« Cela montre qu’il est capable d’infecter et de se multiplier dans les poumons humains. »

Pour le moment, ce passage est un cul-de-sac : le virus n’a pas acquis assez de mutations pour se transmettre d’homme à homme. Le H5N1 est donc considéré comme « un bon candidat sans être inéluctable », selon Jeanne Brugère-Picoux.

Mais si un variant de ce HSN1, adapté à l’homme, apparaissait, il aurait potentiellement la capacité de rendre beaucoup de gens malades. L’espèce humaine n’a jamais essuyé d’épidémie de grippe à HSN1. Notre système immunitaire est donc démuni contre ce sous-type.

De quelles mutations un virus aviaire a-t-il besoin pour être adapté à l’homme ?

Beaucoup d’entre elles nous échappent. Mais certaines ont été décortiquées. Une mutation favorise ainsi l’accrochage des virus à la cellule humaine : elle se situe au niveau de l’acide aminé 226 de l’hémagglutinine présente sur l’enveloppe du virus. Deuxième adaptation possible : celle qui permet au microbe de supporter la température du corps humain. « Les virus aviaires ont besoin d’une température élevée. Or chez l’homme, la température corporelle est plus basse, surtout dans les voies aériennes supérieures. Cela explique que le virus ait des difficultés à s’y multiplier et donc à être transmis d’homme à homme », explique Jean-Claude Manuguerra. Une mutation semble jouer sur cette thermosensibilité du virus : elle touche l’ acide aminé 627 d’une des molécules outils virales, la PB2.

Un vaccin contre le H5N1 est-il en cours de préparation ?

Oui. On le sait, le H5N1 tel qu’on le connaît ne sera pas le virus pandémique : tout au plus sera-t-il un des précurseurs. Le virus H5N1 sert donc de base à un vaccin « prépandémique ». Lequel « permet de nous entraîner à fabriquer un vaccin avec un H5 très pathogène », explique François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Première leçon tirée de cet exercice ? La technique traditionnelle de fabrication des vaccins – inoculer le virus grippal à des œufs de poules fécondés afin qu’il se multiplie, purifier le virus, puis le tuer – ne peut fonctionner avec le H5N1 : ce virus tue les œufs !

« Il faut donc recourir à des méthodes plus récentes telles que la génétique inverse. » Perfectionnée depuis mai 2000, cette technique permet de manipuler les gènes du virus à volonté et donc de retirer ceux qui le rendent létal. SanofiPasteur a utilisé ce type de virus atténué pour fabriquer un vaccin à partir de H5N1. En mars 2005, il a fourni 8 000 doses. Un mois plus tard, environ 450 volontaires humains recevaient quatre doses de ce vaccin prépandémique, lors d’un premier essai clinique. Deuxième leçon ?

« Le virus est moyennement immunogène », note François Bricaire. Ainsi, un essai américain semble montrer que pour que le vaccin initie une réponse immunitaire suffisamment importante, de fortes doses d’antigènes – les molécules à la surface du virus, notamment – sont nécessaires. Il faut donc, soit être capable de produire beaucoup d’antigènes (mais nos capacités de production sont limitées), soit trouver un moyen d’intensifier les défenses immunitaires. Certains essais cliniques, en France et en Australie notamment, s’orientent en ce sens : ils prévoient de tester un vaccin anti-H5N1 qui contient un « adjuvant », un additif chimique qui stimule le système immunitaire. Une firme américaine, Chiron, a d’ores et déjà des résultats encourageants à ce sujet : une étude a montré que leur adjuvant, le MF59, augmentait significativement la production d’anticorps anti-H5N1 comparé au vaccin dépourvu de cet additif.

Quelle efficacité peut-on attendre des antiviraux ?

Tout dépend du moment de la prise. Commercialisé par le groupe Roche, le Tamiflu (Oseltamivir) a été présenté par l’OMS comme l’arme antivirale que tout pays se devait d’avoir en stock. Son efficacité est pourtant relative. Ainsi, il agit contre tous les types de virus grippaux... « à condition qu’il soit pris dans les six premières heures d’apparitions des symptômes », pondère François Bricaire. Le Tamiflu® réduit alors la sévérité des symptômes de 38 % et prévient à 67 % les complications de la maladie. Toutefois, « au bout de 48 heures, il n’est plus efficace ». Depuis son autorisation de mise sur le marché, en 1999, l’essentiel de la production de Tamiflu® part au Japon.

Un tiers des consommateurs dans le monde sont des enfants de ce pays. C’est là que les effets secondaires ont été mis au jour : 12 enfants sont morts en novembre suite à la prise de ce médicament ; 32 cas de troubles psychiatriques ont également été recensés. L’autorité sanitaire américaine, la FDA, va lancer une enquête.