Le beurre, un faux solide mais un vrai plaisir

13 February 2012

Un plaisir depuis des siecles

On ne peut pas dire que le beurre soit un aliment « moderne ». Son évolution s’est accélérée depuis vingt ans mais le beurre accompagne les peules éleveurs du monde depuis fort longtemps puisque sa plus ancienne trace remonte à 4 500 ans. Il en a fait du chemin notre beurre depuis cette gravure sur une plaque de calcaire datant de l’époque sumérienne...

Des temps anciens

Au musée de Bagdad, la scène décrit la traite des vaches par les employés d’un grand domaine, puis la fabrication du beurre dans une jarre contenant le lait et que l’on fait rouler de droite à gauche. On sait que les Aryens qui se sédentarisent en Inde il y a 3 300 ans y développent la clarification du beurre pour le conserver, pratique toujours employée de nos jours par les nomades du Sahara. Il semble même que le célèbre beurre normand ait été introduit par les Vikings, dont beaucoup s’étaient installés en Normandie.

Seules deux civilisations font exception, la Grèce antique puis Rome qui ne goûtent pas le beurre, l’attribuant aux « Barbares », c’est à dire tous les peuples « non civilisés » qui les entourent. La culture romaine n’est d’ailleurs pas étrangère au fait que le beurre demeure la graisse du pauvre jusqu’à la fin du Moyen Age en France. Il commence par la suite à être recherché pour les tables des élites. Dès la renaissance, le beurre est hautement apprécié et très recherché. Le morceau de beurre est alors enveloppé de feuilles fraîches, recouvert d’eau salée et conservé dans des pots de grès. Au XVIème siècle, le beurre est réservé à l’assaisonnement des légumes bouillis et des poissons. On l’emploi également en pâtisserie et pour accommoder les œufs. Au XVIIème siècle, il s’impose dans les sauces. Et au XVIIIème siècle, le beurre est présenté sur la table dans les beurriers.

Outre la Normandie, la Bretagne, d’autres terroirs se font peu à peu connaître comme bons producteurs : l’Est et les zones de montagne. En 1880, à la suite des ravages dans les vignes par le phylloxéra, de nombreux herbages prennent le relais de terres viticoles en Poitou-Charentes. Il en sort de grands crus : Surères, Echiré, Saint Varent...

Au XXème siècle

En France, ce n’est que dans les années 60 que la production se généralise totalement, marginalisant la production fermière. Barattes en bois et marques à beurre sont reléguées dans les musées avec l’apparition du butyrateur, qui permet la fabrication du beurre en continu.

Aujourd’hui, la France est le premier producteur européen de beurre, juste devant l’Allemagne. Avec 448 000 tonnes en 1999, on fabrique 25 % de la production de l’U.E., et 7 % de la production mondiale. Nous en sommes également les plus friands. Avec 8,3 Kg par habitant et par an, nous partageons ce privilège avec nos amis All Blacks ( les Néo-zélandais) qui en consomment 8,1 Kg. A l’autre extrémité, l’Espagnol, le Brésilien et le Japonais l’ignorent presque superbement avec moins de 1kg par habitant et par an.

Tant pis pour eux, ils ne savent pas ce qu’ils perdent. Et c’est si joli une grosse vache laitière dans un pâturage

bien verdoyant. Mais cette vache, elle doit en faire beaucoup du lait pour fabriquer ma tablette de beurre ?

Une fabrication maitrisee..

L’agriculteur doit traire pour 20 litres de lait pour que l’industriel produise 1 kg de beurre. Le progrès technique, en portant essentiellement sur l’hygiène, la rapidité et la fiabilité de la production, n’a pas fondamentalement modifié les grandes étapes de la fabrication du beurre. Seul la cristallisation fractionnée pour les beurres tartinables représentent une évolution majeure.

L’écrémage

L’écrémage se fait dans une centrifugeuse. La force centrifuge sépare les éléments les plus lourds des plus légers qui se rassemblent au centre pour constituer la crème dont la masse volumique est de 0,918 g/cm3 à 20°C. Selon que l’on prélève plus ou moins près de l’axe de rotation, la crème obtenue est plus ou moins riche en matière grasse. La crème comme le lait sont bien sûr pasteurisés.

La maturation

La maturation, autrefois naturelle, est désormais dirigée. Le but est de favoriser le meilleur développement à l’arôme du beurre, grâce à la formation de diacétyl. On ensemençait la crème avec un levain de ferments lactiques provenant de crèmes sélectionnées pour leur goût.

Puis on laissait maturer en cuve pendant une quinzaine d’heures, entre 14 et 16°C. Aujourd’hui, la maturation, à la fois biologique (acidification et aromatisation) et physique (cristallisation de la matière grasse) a été quasiment abandonnée. Elle est remplacée par le procédé continu, dit du Nizo, qui permet l’utilisation de crèmes non maturées, le réensemencement intervenant en fin de fabrication.

Le barattage

Le barattage (agitation) fait ensuite éclater les globules de matière grasse, en libérant un liquide riche en protéines et en lactose : le babeurre. Les grains de babeurre sont lavés à l’eau pure, puis malaxés dans une nouvelle agitation qui perfectionne leur agglomération et répartit uniformément l’eau nécessaire à la masse du beurre. Aujourd’hui, les barattes forment en continu les grains de beurre en moins d’une seconde. Le babeurre est automatiquement évacué. Le ruban de beurre continu est alors immédiatement découpé et conditionné.

La fabrication du beurre est comme vous le voyez fortement contrôlé. Ne s’appelle pas BEURRE qui veut !

... Et un patrimoine protege

Le mot BEURRE est une appellation juridiquement protégée. Non seulement en France, grâce notamment au décret du 30 décembre 1988, mais sur le territoire de l’U.E.. Avec ou sans qualificatif, le beurre est composé d’au moins 82 % de matière grasse butyrique, d’environ 16 % d’eau (au maximum) et de matière sèche non grasse (maximum 2 %). C’est un produit laitier, de type émulsion d’eau dans la matière grasse, obtenu par des procédés physiques, dont les constituants sont d’origine laitière. Il est obtenu à partir de crèmes pasteurisées, congelées ou surgelées. Et voilà pour que les margarines et autres succédanés ne viennent pas empiétés sur son territoire...

Trois beurres classiques

Le décret de 1988 précise les dénominations de vente, le traitement des crèmes, et la composition des beurres et de certaines spécialités laitières. Le beurre cru est ainsi obtenu exclusivement à partir de crème n’ayant subi aucun traitement d’assainissement (pasteurisation). Mis à part, bien entendu, la réfrigération du lait après la traite dans des tanks à 4°C, en vue de sa conservation. Le beurre extra-fin est lui fabriqué à partir de crème pasteurisée n’ayant jamais été ni congelée, ni surgelée, ni désacidifiée. Ce qui signifie que la fabrication a commencée au plus tard 72 heures après la collecte du lait ou de la crème, et 48 heures après l’écrémage du lait. Enfin le beurre fin est obtenu à partir d’un mélange de crème pasteurisée et de crème surgelée ou congelée. La proportion de celles-ci ne peut dépasser 30 %.

Deux beurres professionnels

En faisant varier la teneur en matière grasse du beurre, on obtient d’autres types de beurres, aux usages spécifiques en pâtisserie et en cuisine. Dans le beurre concentré (pasteurisé), on a éliminé par fonte douce, décantation et centrifugation, toute l’eau et la matière sèche non grasse. Il contient au minimum 99,8 % de matière grasse laitière anhydre (MGLA). Sous la dénomination beurre concentré, on entend en fait les dénominations d’huile de beurre et de MGLA. Ces produits sont utilisés avec la poudre de lait dans les pays en développement pour la reconstitution du lait et des produits laitiers. Le beurre de cuisine, pasteurisé et déshydraté, contient lui au minimum 96 % de matière grasse laitière.

Et les autres

Les autres beurres sont essentiellement distingués par leur goût. Le beurre salé possède une teneur en sel supérieur à 3 % La teneur du beurre demi-sel doit être comprise entre 0,5 et 3 %. Le beurre d’appellation d’origine doit lui obéir à des critères rigoureux de terroir et de tradition de fabrication. Par la finesse et la typicité de leur goût, seuls deux beurres méritent actuellement l’AOC : le beurre PoitouCharentes et le beurre d’Isigny. Enfin, le beurre aromatisé a subi à chaud l’adjonction de divers produits tels que épices, herbes aromatiques, ail, fromage, miel, fruits...

Depuis une vingtaine d’année, il existe des beurres fabriqués à partir d’éléments d’origine laitière exclusivement, mais dont la teneur en matière grasse a été réduite. La teneur en matière grasse du beurre allégé doit être comprise entre 41 et 65 %. Et celle du demi-beurre n’est que de 41 %. Enfin, les spécialités laitières à tartiner allégées ont une teneur entre 20 et moins de 41 %.

Tiens, en parlant des beurres à tartiner, pourquoi mon beurre « classique » ne s’étale pas aussi facilement sur ma tranche de pain ? Voilà une question pour les scientifiques, À eux de répondre...

Un faux solide ?

Vous avez remarqué ? Le beurre est un solide étrange. Quand on le sort du réfrigérateur, on doit attendre une quinzaine de minutes avant de le tartiner facilement. C’est pour cela que les beurres à tartiner ont été inventés. Tout cela vous paraît normal et assez simpliste : le beurre fond car la température augmente, le beurre tartinable n’est pas du vrai beurre, c’est pour cela qu’il est plus mou. Et bien détrompez-vous, cela est beaucoup plus compliqué que ça en a l’air...

Un état des lieux

La question du beurre tartinable se pose depuis 1988 : la législation accorde l’appellation de beurre aux produits qui, comme le beurre, sont des dispersions de gouttelettes d’eau dans la matière grasse laitière, à condition que ces produits aient été séparés par des méthodes physiques.

Mais avant de séparer, il faut connaître les fractions à séparer. Chaque type de molécules cristallise de plusieurs façons, selon le type de traitement antérieurement subi, et les cristaux n’adoptent leur forme d’équilibre qu’après un long repos. Dans le lait, la matière grasse est sous la forme de gouttelettes dispersées dans de l’eau ; chaque gouttelette, de quelques micromètres de diamètre, est enrobée de micelles de caséine. Des arômes sont dissous dans les matières grasses des gouttelettes, tandis que les molécules solubles (lactose, sels minéraux, protéines) se retrouvent dans le lactosérum.

Et une constatation

La composition de la matière grasse change selon les saisons, mais une unité règne : les molécules du lait sont essentiellement des triglycérides, composés d’une molécule de glycérol à laquelle sont liés trois molécules d’acides gras. Le lait contient plus de 500 acides gras différents. Comme chaque acide gras peut être lié à n’importe quel atome de carbone du glycérol, le nombre de triglycérides possibles est supérieur à plusieurs milliers. Une des conséquences majeures de cette diversité est le comportement du beurre à la fusion. Contrairement à un corps pur comme l’eau, qui fond à une température fixe (0°C), la fusion du beurre commence vers –50°C, et elle s’achève vers +40°C. Les divers triglycérides du lait fondent par familles homogènes en trois étapes principales. De –50°C à 10°C, on observe la fusion des molécules dont les acides gras sont courts ou comportent des liaisons chimiques doubles entre les atomes de carbone. Puis, entre 10 et 20°C, vient le tour des molécules ne contenant pas qu’une seule liaison double ou bien une chaîne courte. Enfin, entre 20 et 40°C, fondent les molécules où les trois acides gras sont saturés.

Pour une solution

Les physico-chimistes ont plutôt étudié le phénomène inverse de la fusion : la cristallisation. Pour séparer les différentes fractions, on effectue une cristallisation fractionnée en refroidissant le beurre fondu et en isolant les cristaux qui apparaissent à une même température. Et voilà comment on trouve la solution pour obtenir des beurres tartinables dès lors sortie du réfrigérateur. Il faut mélanger des triglycérides à température de fusion élevée, qui restent donc solides à la température ambiante, avec une proportion appropriée de triglycérides à basse température de fusion, liquides à température ambiante. On obtient ainsi un corps apparemment solide qui, comme le beurre classique, contient une proportion de molécules sous la forme de liquide. Et d’ailleurs, même dans le lait, les gouttelettes de matière grasse sont partiellement solides : la proportion de solide atteint 70 % à 4°C, mais seulement 10 % à 30°C.

L’enrichissement en molécules à basse température de fusion facilite donc le tartinage. A contrario, les molécules à point de fusion élevé sont utilisées en pâtisserie, toujours sous le nom de beurre.

Et là posez-vous la question bonus : pourquoi un solide qui contient du liquide reste-t-il apparemment solide ?

A cause des cristaux qui s’enchevêtrent quand ils croissent. Raclé par un couteau, le beurre semble s’amollir non pas parce qu’il s’est échauffé, mais parce que les cristaux sont séparés.

Et voilà, vous pouvez vous amuser à fabriquer votre propre beurre grâce à la cristallisation fractionnée. Fondez le beurre puis récupérez la partie solide à mesure qu’elle se forme. Mais je ne suis pas sûr que vous connaissiez déjà tout du beurre alors prenez votre crayon, je vous propose un petit exercice.