Une révolution dans le traitement adjuvant du cancer du sein

19 January 2012

Les éditorialistes du New England Journal of Medicine ne brillent pas habituellement par leur goût pour le spectaculaire ou pour l’hyperbole. Aussi l’utilisation par Gabriel Hortobagyi, du célèbre Anderson Cancer Center de Houston, du terme « révolutionnaire » pour qualifier les deux publications qui font la une cette semaine du prestigieux hebdomadaire scientifique, doit être considérée comme un événement en soi. Ces deux articles, qui marqueront un tournant dans le traitement adjuvant du cancer du sein, rapportent les excellents résultats de 3 études consacrées au trastuzumab (Herceptin) prescrit en association avec les thérapeutiques classiques du cancer du sein localisé.

Le mécanisme d’action du trastuzumab sur les cellules néoplasiques est complexe. On sait que 15 à 30 % des cancers du sein surexpriment le gène HER2 codant pour le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain. Ces tumeurs HER2 positives ont une évolution spontanée significativement plus défavorable que les autres. Le trastuzumab est un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre ce récepteur. Il a prouvé son efficacité dans le traitement des cancers du sein métastasés HER2 positifs après échec d’une chimiothérapie ou en association avec le paclitaxel lorsqu’une anthracycline ne peut être envisagée.

Sur ces bases cliniques, 4 essais thérapeutiques ont été initiés dans le monde pour évaluer l’intérêt de l’Herceptin cette fois dans le traitement adjuvant des cancers du sein HER2 positifs. Les conclusions de 3 de ces études sont communiquées aujourd’hui. Même si les protocoles de ces essais sont différents, leurs résultats sont concordants et dans les 3 cas l’avantage significatif procuré par le trastuzumab a conduit à une interruption prématurée de l’essai. Une augmentation significative de la survie sans récidive dès la première année.

La première étude a inclus 5 081 patientes ayant un cancer du sein localisé (hors T4) HER2 positif (N + ou N -) et ayant achevé un traitement locorégional associé à au moins 4 cycles de chimiothérapie adjuvante ou néoadjuvante (avec hormonothérapie pour les tumeurs ayant des récepteurs hormonaux positifs). Dans cet essai, proche des conditions du terrain, divers protocoles de chimiothérapie adjuvante ou néoadjuvante ont été prescrits. Les patientes ont été randomisées en 3 groupes, le premier (n = 1 694) destiné à recevoir 6 mg/kg de trastuzumab par voie intraveineuse toutes les 3 semaines pendant 2 ans, le deuxième (n = 1 694) le même traitement pendant un an et le troisième bénéficiant d’une simple surveillance après la fin de la chimiothérapie adjuvante (n = 1693).

Après un an de suivi médian, le groupe 2 a été comparé au groupe contrôle. Cent vingt-sept événements négatifs (récidive locale, controlatérale ou métastatique, nouveau cancer non mammaire ou décès) sont survenus sous trastuzumab (7,5 %) contre 220 dans le groupe contrôle (13 %) ce qui représente une diminution du risque de 46 % (intervalle de confiance à 95 % [IC95] : de 33 à 57 % ; p < 0,0001). Compte tenu de la très courte période de suivi, ces résultats favorables, en terme de contrôle tumoral, ne se sont pas traduits par une diminution significative de la mortalité (29 décès sous traitement actif contre 37 dans le groupe contrôle). Une cardiotoxicité sévère (insuffisance cardiaque) a été constatée chez 0,54 % des patientes sous trastuzumab (9 cas). Une diminution significative de la mortalité à 2 ans.

La deuxième publication concerne deux études qui cette fois comparaient des patientes recevant concomitamment une chimiothérapie adjuvante et du trastuzumab une fois par semaine pendant 1 an à des malades traitées par les mêmes chimiothérapies sans trastuzumab. Les chimiothérapies reçues comportaient de la doxorubicine et du cyclosphophamide suivi par du paclitaxel et le trastuzumab était débuté avec la première dose de paclitaxel. Après un suivi médian de 2 ans, 133 événements négatifs (récidive, nouveau cancer, décès) sont survenus dans les groupes trastuzumab (8 %) contre 261 dans les groupes contrôles (15,5 %) soit une diminution du risque de 52 % (IC95 : 41 à 61 % ; p < 0,0001). Dans cet essai au suivi plus prolongé, la mortalité a significativement diminuée sous trastuzumab (62 décès contre 92 dans le groupe contrôle ; diminution du risque de 33 % avec un IC95 entre -7 et -52 % ; p = 0,015). Une cardiotoxicité sévère (insuffisance cardiaque grave de stade III ou IV de la NYHA ou décès) a été observée entre 2,9 et 4,1 % des cas selon les études.

On peut donc affirmer que globalement, chez les patientes HER2 positives, avec ou sans récepteurs hormonaux tumoraux, avec et sans atteinte ganglionnaire, un traitement adjuvant par trastuzumab améliore significativement le pronostic. Il s’agit à cet égard du progrès le plus important enregistré dans ce domaine depuis l’introduction du tamoxifène en thérapeutique.

A court terme ces publications vont bien sûr conduire à modifier les recommandations internationales de prise en charge des cancers du sein localisés HER2 positifs. Ce type de patientes représente une population très large puisque si l’on estime qu’une femme sur 8 ou sur 10 sera concernée par une néoplasie mammaire, ce traitement pourrait être prescrit à près de 2 % des femmes au cours de leur vie. Il reste évidemment encore beaucoup à faire pour préciser, la posologie et la durée de traitement optimales, l’association à la chimiothérapie la plus efficace et la mieux tolérée (administration au cours de la chimiothérapie comme dans la deuxième publication ou après celle-ci comme dans la première), le type de chimiothérapie adjuvante ayant la meilleure synergie avec l’anticorps monoclonal et bien sûr le protocole ayant la meilleure tolérance cardiaque.

Il semble à cet égard, sans que l’on puisse cependant encore l’affirmer, que l’efficacité mais aussi la toxicité cardiaque du traitement soient plus importantes lorsque l’anticorps est administré simultanément à la chimiothérapie et non après la fin de celle-ci.