Anesthésiques locaux
7 January 2012
Les anesthésiques locaux inhibent de façon réversible la formation et la transmission des stimuli dans les cellules nerveuses. Une action de ce type est recherchée lorsqu'il s'agit de pratiquer une intervention douloureuse, par exemple une opération chirurgicale ou une extraction dentaire.
Mécanisme d'action
La transmission de l'information dans les nerfs se produit sous la forme d'un potentiel d'action, un changement très rapide du potentiel de membrane, durant moins de 1 ms. La dépolarisation a pour origine un influx rapide d'ions Na vers l'intérieur de l'axone. Cet influx se produit à travers un canal protéique inclus dans la membrane qui à l'état ouvert (activé), laisse pénétrer rapidement de l'extérieur vers l'intérieur des ions sodium en suivant le gradient chimique ([Na+]ext environ 150 mM, [Na+]int environ 7 mM). Cet influx rapide de Na+ peut être inhibé par les anesthésiques locaux ; la transmission de l'excitation est bloquée.
Les principaux anesthésiques locaux existent en partie sous forme cationique amphiphile. Cette propriété physicochimique facilite l'accumulation aux interfaces, domaines frontières entre milieu polaire et apolaire. Ceux-ci se trouvent dans les membranes phospholipidiques et à l'intérieur des canaux protéiques. Ceci signifie que, dans certains cas, le blocage d'un canal sodique résulte de l'accumulation de l'anesthésique local dans le canal protéique. Il est certain que le site d'action peut également être atteint à partir du cytosol et que le produit doit alors traverser d'abord la membrane cellulaire.
Des substances non chargées peuvent également exercer une action anesthésique locale ; dans ce cas, le site de liaison doit être recherché dans le domaine apolaire du canal ou dans la membrane lipidique qui l'entoure.
Effets secondaires liés au mode d'action
Comme l'influx de sodium est bloqué par les anesthésiques locaux non seulement dans les nerfs sensitifs mais dans tous les tissus excitables les administration doit être effectuée lor element et en prenant les précautions nécessaires pour éviter une distribution dans l'organisme. En effet, un passage rapide dans le sang peut provoquer des réactions secondaires systémiques indésirables :
Par un blocage des neurones inhibiteurs dans le système nerveux central : crampes, agitation (moyen de lutte contre les crampes : injection de benzodiazépine) ; à concentratrion plus élevée paralysie générale et blocage du centre respiratoire.
Par une inhibition de la transmission de l'excitation dans le cœur : anomalie de la conduction AV, arrêt cardiaque (moyen d'intervention : injection d'adrénaline). L'inhibition, par les anesthésiques locaux, des phénomènes d'excitation cardiaque peut être utilisée sur un plan thérapeutique en cas d'arythmie.
Types d'anesthésie locale
L'utilisation d'une anesthésie locale peut s'effectuer par infiltration dans le tissu à anesthésier (infiltration), ou par injection dans le faisceau nerveux qui rassemble les fibres sensitives provenant de la région à endormir (anesthésie de conduction pour les nerfs, anesthésie spinale pour la moelle épinière), par application de la substance sur la peau et les muqueuses (anesthésie de contact). Dans chaque cas, l'anesthésique local doit diffuser Jusqu'aux nerfs à anesthésier à partir d'un dépôt placé sur la peau ou injecté dans le tissu.
Sensibilité élevée des nerfs sensitifs, sensibilité plus faible des nerfs moteurs. La stimulation des nerfs sensitifs est déjà inhibée à des concentrations plus faibles que celles nécessaires pour bloquer les nerfs moteurs. Ceci peut provenir d'une plus grande fréquence des impulsions et d'une plus grande durée du potentiel d'action dans le cas des nerfs sensitifs. Ou bien c'est en rapport avec le diamètre respectif des nerfs sensitifs et des nerfs moteurs ou de l'intervalle entre les nœuds de Ranvier. Dans le cas d'une conduction saltatoire de l'influx, la membrane sera dépolarisée seulement au niveau des nœuds. Comme l'induction de la dépolarisation peut encore se produire malgré le blocage de trois ou quatre nœuds,la zone dans laquelle doit être présente une concentration d'anesthésique local suffisante pour inhiber cette conduction, est plus importante.
Cette relation explique pourquoi les stimuli sensitifs qui passent par les fibres myélinisées de type A8 réagissent à l'administration d'anesthésiques locaux plus tard et avec moins de sensibilité que les stimuli qui empruntent les fibres C non myélinisées. Comme les fibres végétatives post-ganglionnaires ne comportent pas de couche de myéline, elles seront également bloquées par les anesthésiques locaux. La conséquence de ce phénomène est une dilatation des vaisseaux dans la zone anesthésiée, qui découle d'une diminution du tonus vasculaire maintenu par le système sympathique. Ce phénomène n'est pas souhaitable.
Diffusion et action
Au cours de la diffusion à partir du site d'injection et de l'espace interstitiel du tissu conjonctif, vers l'axone du nerf sensitif, l'anesthésique local doit traverser le périneurium. Ce périneurium est composé de plusieurs couches de cellules épithéliales qui sont reliées les unes aux autres par des wnulae occludentes, et qui forment ainsi une barrière hydrophobe fermée.
Les anesthésiques locaux usuels sont des aminés tertiaires, qui dans la gamme de pH des liquides de l'organisme sont en partie sous forme de base liphophile et en partie sous forme cationique amphiphile chargée positivement. La forme non chargée peut traverser le périneurium et parvenir dans l'espace endoneuronal où une fraction de la molécule peut, selon le pH qui règne dans cet espace, se charger à nouveau. Le même phénomène se reproduit pour le passage des anesthésiques locaux à travers la membrane de l'axone (axolemme) jusan dans l'axoplasme (effet sur le canal sodique de l'intérieur de l'axoplasme) et pour la diffusion de l'espace endoneural à travers l'endothélium non fenestré du capillaire jusqu'au sang.
La concentration de l'anesthésique local au site d'action dépendra donc de la vitesse de passage dans l'espace endoneural, et de la vitesse de diffusion vers les capillaires sanguins Pour qu'une substance puisse arriver avec une vitesse suffisante au site d'action, il faut qu'il existe un gradient de concentration suffisamment élevé entre le dépôt injecté dans le tissu conjonctif et l'espace endoneuronal. L'injection de solutions en concentration trop faible reste sans effet ; par contre il faut éviter des concentrations trop élevées à cause du risque d'un passage rapide dans le sang et donc du risque associé d'un empoisonnement systémique.
Pour obtenir une action locale d'une durée suffisante avec des effets systémiques faibles, on cherchera à maintenir l'anesthésique au site d'action et en particulier dans l'axone des nerfs sensitifs. Ceci peut être réalisé en l'utilisant associé à un agent vasoconstricteur (l'adrénaline, plus rarement la noradrénaline ou un dérivé de la vasopressine). La diffusion en dehors de l'espace endoneuronal est diminuée par la réduction du flux sanguin, car le gradient de concentration gouvernant la diffusion entre l'espace endoneuronal et le capillaire sanguin devient nettement plus faible, lorsque le flux de sang ne contenant pas la molécule se réduit.
L'addition d'un vasoconstricteur permet aussi une élimination relative du sang dans la zone d'opération. L'inconvénient des vasoconstricteurs de type catécholamine est l'apparition d'une hypérémie réactionnelle dans la zone opératoire après disparition de l'effet constricteur ainsi que l'effet cardiostimulant, lorsque l'adrénaline passe dans le sang. On peut aussi utiliser comme adjuvant vasoconstricteur un dérivé de la vasopressine, la félypressine (l'hyperémie réactionnelle est plus faible, il n'y a pas d'effet arythmogène mais un risque de rétrécissement des artères coronaires). Les vasoconstricteurs ne doivent pas être utilisés lors d'une anesthésie locale au niveau des extrémités (doigts, orteils).
Caractéristiques de la structure chimique
Les anesthésiques locaux sont constitués en général d'une aminé secondaire ou tertiaire, l'azote est associé à une chaîne latérale lipophile, le plus souvent un noyau aromatique.
L'anesthésique local, selon sa constante de dissociation (valeur de pK,) et selon la valeur du pH du milieu, sera soit sous forme d'une aminé non chargée, soit sous forme d'un cation ammonium chargé. La valeur du pKa d'un anesthésique local classique varie entre 7,5 et 9. La valeur du pKa indique la valeur du pH pour laquelle 50 % des fonctions aminés ont capturé un proton. Sous forme protonée, la molécule possède aussi bien une extrémité polaire, hydrophile (azote protoné) qu'une extrémité apolaire lipophile (le cycle) : elle est amphiphile.
La représentation graphique de la molécule de procaïne montre que la charge positive n'est pas située de façon ponctuelle sur l'azote mais est repartie : la figure montre le potentiel à la surface de van der Waals. La forme non protonée (droite) comporte une charge partielle négative non négligeable dans la région du groupement ester (bleu) et est par ailleurs neutre (vert). Sous la forme protonée (à gauche), la charge positive s'étend à partir de l'azote en direction du cycle aromatique (coloration brun-rouge).
Dans les conditions de pH physiologique et selon la valeur du pKa de 5 à 50 % environ de la molécule se trouvent sous forme lipophile non chargée. Cette propriété est importante, car l'anesthésique local traverse les barrières lipidiques seulement sous cette forme, tandis qu'il doit prendre la forme cationique amphiphile pour exprimer son activité.
Les anesthésiques locaux les nes utilisés sont soit des esters soit des amides. Des molécules possédant des chaînes latérales constituées degroupement méthylène comme par la chlorpromazine ou l'irnipramine agiront comme des anesthésiques locaux dans les modes d'application correspondants. Les ânesthésiques locaux possédant une liaison ester dans la chaîne latérale seront inactivés par hydrolyse dès leur arrivée dans le tissu. Ceci est un avantage car le risque d'une intoxication systémique par les esters est plus faible, mais c'est également un inconvénient car cette inactivation rapide signifie une durée d'action brève.
La procaïne ne peut pas être utilisée comme anesthésique de surface car la rapidité de son inactivation est supérieure à la pénétration à travers la peau ou les muqueuses.
La lidocaïne est dégradée par désalkylation oxydative sur l'azote, en premier lieu dans le foie.
Dans le cas de la prilocaïne et de Varticaïne, cette étape de biotransformation n'est qu'à peine possible à cause de la susbtitution sur l'atome de carbone proche de l'azote. L'articaïne comporte sur le cycle thiophène un groupement carboxyméthyle qui peut subir une hydrolyse, donnant naissance à un groupement polaire -COO-. De ce fait, la nature amphiphile est perdue et le métabolite formé est inactif.
La benzocaïne (forme éther) est un membre de la famille des anesthésiques locaux qui ne possèdent pas d'azote protoné dans la gamme des pH physiologiques. Elle sera essentiellement utilisée comme anesthésique de contact.
De même seront utilisés comme anesthésiques de contact le pohdocanol non chargé ainsi que la tétracaïne, cation amphiphile ou la lidocaïne.